Интервью

Entretien avec Maroussia Klimova

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Revue de la Bibliothèque nationale de France n° 38 2011 23
Propos recueillis par  Guillaume Fau



Nouvelles
de Saint-Petersbourg

Entretien avec Maroussia Klimova



Maroussia Klimova (de son vrai nom Tatiana Kondratovitch), écrivain, vit et travaille à Saint-Pétersbourg. Auteur de Sang bleu (1996), Maison à Bois-Colombes(1998), Récits du marin (1999), Bêtes blondes (2001), Mon histoire de lalittérature russe (2004), elle est spécialiste de la littérature française du xx¬ siècle. Traductrice de Céline, Genet, Bataille, Aragon, Wittig, Foucault, Guyotat (entre autres), elle a fait paraître en 2004 Les Rencontres de Paris, recueil de ses entretiens avec des écrivains français. Elle est chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres depuis 2006.



Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre formation ? Comment et pourquoi avez-vous appris le français ?
Maroussia Klimova: J’ai commencé à apprendre le français lorsque j’étais enfant. J’ai continué à l’école française puis à la faculté des lettres de l’Université d’Etat de Saint-Pétersbourg (qui s’appelait encore Leningrad). Les relations entre la Russie et la France ont toujours été très fortes, même à l’époque soviétique. Alors que la France était considérée comme un pays « capitaliste », la langue française jouissait néanmoins d’une grande popularité dans les études. C’est toujours le cas aujourd’hui, après l’anglais bien sûr. Du temps de l’URSS, les écoles françaises étaient même plus nombreuses que les écoles allemandes, où l’on enseignait pourtant la langue de la RDA, pays socialiste. A la base de mon intérêt pour le français, il y a donc l’attraction magique exercée par la grande littérature française, pas la volonté absurde des politiciens qui nous gouvernaient.

Quand et pourquoi avez-vous décidé de devenir traductrice ?
МК : Je ne considère pas la traduction comme mon activité principale, et je ne peux pas dire que j’ai jamais rêvé de devenir traductrice. En Russie, je suis surtout connue en tant qu’auteur : j’ai écrit des romans et plusieurs autres livres qui ont eu un grand retentissement et dont certains ont été traduits en allemand et en italien. Mais il est vrai que la traduction joue un rôle très important dans mon oeuvre littéraire, en particulier parce qu’elle me permet de créer le contexte favorable à l’écriture de mes propres livres. Aujourd’hui, un écrivain a besoin d’un tel contexte pour créer, de la même manière qu’un chanteur a besoin de la meilleure acoustique possible pour que sa voix ne soit pas parasitée par les bruits extérieurs. Je choisis donc toujours très soigneusement les auteurs que je traduis. Il est capital pour moi que nos esthétiques coïncident, pour compléter et prolonger ce que je fais moi-même. Inversement, pour les auteurs que je traduis, il est assez important, je crois, de savoir que leur œuvre prend place dans un univers à l’unisson de leurs propres préoccupations intellectuelles et artistiques, et qui en favorise la réception et la compréhension les plus justes possibles – surtout pour les auteurs que je traduis en russe pour la première fois. En effet, il y a malheureusement dans la culture moderne, parce qu’elle est souvent cynique ou intéressée, trop d’effets d’entropie et trop de « bruit ».

Quelles ont été vos premières traductions ?
МК : Ma première traduction fut Mort à crédit, de Céline. J’ai commencé à traduire au milieu des années 1980, à une époque où son œuvre était interdite en URSS. Ses livres étaient introuvables, y compris en français, et on ne les traduisait pas. A la bibliothèque publique de Leningrad, par exemple, les romans qui composent la « trilogie allemande » – D’un château l’autre, Nord et Rigodon – étaient conservés à part, dans un lieu tenu hors d’accès des lecteurs. Seul Mort à crédit était à la disposition du public. C’est ainsi que je l’ai lu pour la première fois, en 1980, alors que j’étais étudiante à l’université. Quelques années plus tard, en 1987, je l’ai acheté dans l’édition du Livre de poche. Je crois que cette lecture a eu sur moi une influence décisive en ce sens qu’elle m’a donné envie de concrétiser mon intérêt pour l’œuvre de Céline, et c’est ce qui m’a poussé à la traduire. A l’époque, il n’était pas question de contrat d’édition, j’ai donc commencé à traduire uniquement pour mes amis et « pour l’éternité », sans le moindre espoir que le résultat de mon travail serait un jour édité. J’ai tout de même réussi à faire paraître quelques extraits dans les revues et les almanachs clandestins de l’underground littéraire et artistique de Leningrad. On dactylographiait les textes au papier carbone et on les faisait circuler de la main à la main. L’édition du Livre de poche que j’avais achetée ne comportait ni notes ni commentaires, mon travail sur le texte était donc rendu extrêmement difficile. Au total, il m’a fallu près de huit ans pour mener à bien cette traduction. Mort à crédit n’est paru en russe qu’en 1994, après la chute de l’URSS, quand la censure à déclassifié le dossier Céline. A cette date, j’avais déjà pu me rendre à Paris plusieurs fois et faire la connaissance de François Gibault et de Lucette Destouches dont l’aide fut inestimable dans mon travail de traduction. En 1994, j’ai fondé la Société Russe d’Etudes Céliniennes et la maison d’édition du même nom. Après Mort à crédit, j’ai traduit D’un château l’autre, Nord, Rigodon, les pièces de théâtre et les Entretiens avec le Professeur Y. » A part des traductions des auteurs français, en 2000 j ‘ai publié le recueil « Céline en Russie » où sont réunis tous les materiaux sur Céline en russe, ainsi que les extraits de ses oeuvres avec ses impressions du visite à Leningrad en 1936. En 2004 j’ai édité le recueil de mes entretiens et interviews avec les écrivains et maîtres de la cultures française moderne intitulé « Les rencontres de Paris ».

Quels autres auteurs traduisez-vous ?
МК : J’ai traduit Querelle de Brest, de Jean Genet, Le Corps lesbien, de Monique Wittig, Histoire de l’œil, de Georges Bataille, Le Con d’Irène, d’Aragon, L’Ile aux dames, de Pierre Louÿs, les livres de Michel Foucault, de Pierre Bourgeade, de François Gibault, de Frédéric Strauss (Conversations avec Pedro Almodovar)… et de Pierre Guyotat. J’ai aussi fait plusieurs traductions de l’allemand et de l’anglais.

Comment travaillez-vous ? Gardez-vous les archives de vos traductions ?
МК : Je travaille toujours à l’ordinateur – pour mes propres livres comme pour mes traductions. Je dois dire que je ne comprends pas très bien l’attachement romantique des écrivains au papier et à la plume. Je crois que c’est une coquetterie de leur part. L’ordinateur est d’une grande aide, surtout quand il fait composer et corriger des textes très longs. Je garde les fichiers de toutes mes traductions sur mon ordinateur, mais seulement la version finale, corrigée, qu’il m’arrive d’utiliser au moment des rééditions. Généralement, je détruis les brouillons.

Qu’est-ce qui vous a amené à traduire l’œuvre de Pierre Guyotat ?

МК : Mon intérêt pour l’œuvre de Pierre Guyotat est né au cours des discussions que j’avais avec mes amis de Paris. On disait de lui que c’était un écrivain « marginal », « fou ». Tout naturellement, ces témoignages ont attiré mon attention sur sa personnalité. De ma part, je crois que c’était la réaction instinctive, héritée de l’éducation soviétique que j’ai reçue dans l’enfance, de tout comprendre à rebours… Bien sûr, la place exceptionnelle occupée par son œuvre dans la littérature française contemporaine mais aussi son expérience de la guerre d’Algérie, de la prison et des biribis, ont également déterminé mon choix. C’est pour toutes ces raisons que j’ai décidé de transplanter cette « fleur du mal » exotique sur la rude terre russe. Lorsque j’ai fait la connaissance personnelle de Pierre Guyotat, en 1997, à Paris, c’était pour préparer un entretien pour la Revue russe. J’ai rencontré quelqu’un de très fin, qui m’a beaucoup touché : mon intuition ne m’avait pas trompée ! Mon point de vue de lectrice s’est alors enrichi d’un point de vue plus humain. Mais la plupart des médias russes avec lesquels je collaborais à cette époque ont alors refusé de publier notre entretien car Pierre Guyotat était un auteur encore très largement méconnu en Russie : j’étais la première à me lancer dans ce travail de prospection et de diffusion de son œuvre en direction du grand public russe. Par la suite, nous avons fait plus ample connaissance, nous avons correspondu et nous nous sommes revus lors de mes visites à Paris. En 2002, j’ai traduit Prostitution puis, en 2004, Eden, Eden, Eden, et Coma, en 2009. J’ai viens de commencer la traduction du Livre dont l’édition russe est prévue pour 2011.


Pourquoi avoir commencé par Prostitution ? Dans quelles circonstances s’est passé ce travail ?
МК : J’étais attirée par la forme et la langue extraordinaires de cette oeuvre. Surtout, il était passionnant de traduire un texte sans équivalent en russe. Et cette traduction a connu un grand succès, alors que personne ne s’y attendait. Le tirage de 3 000 exemplaires a été presque instantanément épuisé. J’ai mis deux ans à traduire ce livre. Pour Mort à crédit, que j’ai commencé à traduire au milieu des années 1980, rien ne me pressait puisque l’éventualité d’une publication paraissait irréelle dans le contexte de l’Union soviétique. Cette fois, en revanche, j’avais des obligations de délais envers l’éditeur de Prostitution. Ces circonstances ont eu une grande influence sur le rythme et l’intensité de mon travail. A cet égard, le travail s’est déroulé à peu près de la même façon pour Eden, Eden, Eden et Coma, aussi différents que puissent être ces trois textes du point de vue de la langue. Néanmoins, il n’est pas toujours possible de forcer ainsi le processus de la traduction dans le temps. Selon moi, la traduction littéraire a quelque chose d’organique, de très étroitement lié à la vie de l’esprit. Je la décrirai comme un travail tout en délicatesse, comparable à la culture des arbres ou des fleurs : rien à voir avec le traitement d’une masse inerte ou d’un matériau inanimé. Et de même que le paysan ou le jardinier ne peuvent pas forcer la croissance des plantes ou des arbres qu’ils cultivent, le traducteur doit simplement prélever une petite pousse, la transplanter sur un autre terrain et sous un autre climat pour ainsi dire. … Bien sûr, Pierre m’aide beaucoup dans cette tâche : quand je traduis ses livres, nous sommes en contact, nous échangeons des messages et il répond toujours très gentiment et de façon très détaillée à mes questions.

Où en est la traduction de littérature contemporaine dans la Russie et la France d’aujourd’hui ?
МК : Traditionnellement, la littérature française a toujours occupé une place à part dans le coeur des russes. C’était ainsi au XIX siècle, et c’est encore le cas aujourd’hui, même inconsciemment. Mais il faut dire que sans la politique d’aide à la traduction menée avec discernement et constance par la France et qui permet à ses auteurs d’être traduits vers le russe, cet intérêt historique ne suffirait pas à soutenir une diffusion représentative de la littérature contemporaine. C’est justement la situation dans laquelle se trouve la littérature russe traduite en français aujourd’hui. En France, d’après ce que je sais, la littérature russe intéresse toujours mais les auteurs traduits me paraissent trop peu nombreux et pas assez diversifiés. J’en ai fait l’expérience moi-même comme écrivain. Mes livres sont traduits vers l’allemand et vers l’italien, pas vers le français. Or, je me rends en France très souvent, j’y rencontre beaucoup de gens, à la différence de l’Allemagne et de l’Italie. C’est une situation paradoxale.

Quelle importance accorde-t-on en Russie au rôle et au travail des traducteurs ?
МК : Il me semble qu’il existe aujourd’hui des professions et des personnes qui se soumettent complètement aux rapports marchands et aux lois du marché. Les artistes, quant à eux, ont le souci d’une certaine tradition et de sa transmission. Sans eux, la culture aurait disparu, tout simplement. Et c’est justement le risque qu’encourent les écrivains et les traducteurs russes. En effet, personne aujourd’hui n’accorde aucune importance à leur activité. Chacun en est réduit à travailler à ses risques et périls, le plus souvent à l’encontre des autorités et du goût du grand public.



La revue de Bibliothèque nationale de France № 38, Paris, 2011

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